Marianne Catzaras · Grèce · Greece
Pas d’escale, pas de voyage
et pourtant le rendez-vous revient comme dans un mauvais rêve
mais que me veut cette ville
entêtée et sournoise
que me veut-elle
et me réclame au bout de mes pages
que me veut cette ville mystérieuse poussiéreuse où au détour
de chaque ruelle resurgit la voix de mes ancêtres.
mais comment est-ce possible après tant de siècles et tant de kilomètres
tant de conquêtes de rires de noyades de voyages et de cauchemars
cette ville constellaire où le port et les mouettes se répandent sur chaque rempart
cette ville indifférente aujourd’hui qui n’écoute plus le battement des anciens voyageurs
des marins de passage ou des scaphandriers qui y avaient élu domicile
combien de fois l’ai-je fait le trajet vers elle
mais cette fois-ci ce n’est plus pareil
c’est peut-être la dernière fois.
il était donc une fois l’histoire d’un enfant qui avait hérité d’une éponge et d’une carte postale
“Beau temps sur Sfax les éponges se ramassent à la pelle malgré les agitations politiques
entre l’occupant et l’habitant du pays mais tu aimeras ne tarde pas
je t’attends je t’aime.”
Illisible la date dans ce qui me reste comme souvenirs.
l’exil n’est pas une petite affaire
il désoriente exclut enveloppe d’un manteau d’algues noires
l’exil vous jette au marché de gros
car là se joue aussi la grande aventure du monde au marché de gros.
on se pousse on s’attarde pieds nus avec le seul désir de récupérer son nom
à la criée car on ne veut rien abandonner de l’histoire des parents.
il était une fois donc une histoire d’identités qui s’entassent
dans les cordages des bateaux à quai
il était une fois quelques vieilles éponges crucifiées
qui traînent encore sur le parvis de la mémoire
et moi je retraverse les siècles sans pouvoir tisser l’ordre des lieux
dans l’intranquillité des villes où l’on a raté sa naissance
ville de sel ville de marée basse
que me veux-tu encore
pas de nostalgie pas de douleur
pas de saisons pas de barques hantées
je n’ai plus rien à énumérer
je n’ai plus personne à courtiser
et puis j’ai cru voir le port fermé ce matin
je vais de mât en mât dans l’obscurité migratoire
des rendez-vous manqués
et j’écoute le coeur du hasard se déchaîner sur les navires.
·
No port of call, no journey
yet again like a bad dream is the meeting replayed
what does this city demand of me
obstinate sneaky
what does she demand of me
summoning me from the bottom line of my pages
what demands of me this mysterious dusty city at the turn
of every street re-sounds the voice of my ancestors.
but how is this possible so many centuries and kilometres back
so many conquests of laughter of drownings of journeys and nightmares back
this constellating city with her port and seagulls spread out on every rampart
this unconcerned city that no longer hears the heartbeat of ancient travellers
of sailors passing through or deep-sea divers who took up residence there
how many times have I made the trip to her
but this time is not the same
it might be the last
so once upon a time there was the story of a child who inherited of a sponge and a postcard
“Fine weather in Sfax abundant sponges collected despite the political turmoils between the occupants and the inhabitants of this country but you will love it don’t delay I am awaiting you I love you.”
Illegible is the date of what is left in my memories
exile is no simple matte r
misguiding excluding wrapping you with a cloak of dark algae
exile casts you out into the wholesale market
the great adventure of the world is also played out at the wholesale market
pushing one another and lingering barefooted with the one desire of recovering one’s name
in the auction for one wants nothing of the parents’ history to be forsaken
so once upon a time there was a story of identities that crammed
into the ropes of the ships alongside the quay
once upon a time there were a few crucified old sponges
they are still lying about in front of my memory
and again I am crossing the centuries unable to weave the order of the places
within the unquiet cities where one failed one’s birth
city of salt city of low tide
what do you demand again of me
no nostalgia no grief
no seasons no haunted boats
no longer have I anything to enumerate
no longer have I anyone to woo
and then I thought I saw the port closed this morning
from mast to mast I wander in the migratory darkness
of missed encounters
and I hearken the heart of chance rage against the ships.